Le Togo affiche des taux de croissance qui peuvent sembler flatteurs à première vue, mais derrière les chiffres, la réalité vécue par des milliers de jeunes est tout autre : accès limité à l’emploi décent, opportunités réduites, infrastructures inachevées et un horizon trop souvent synonyme d’exil. Ce constat n’est pas seulement anecdotique : les institutions internationales et locales tirent la sonnette d’alarme et appellent à des politiques ciblées pour transformer la croissance en emplois réels et durables.
Croissance, mais quelles retombées pour les jeunes ?
Sur le papier, l’économie togolaise continue de croître — des projets d’investissement et des initiatives publiques montrent une volonté d’accélérer la transformation numérique et la croissance structurelle. Mais la croissance macroéconomique ne se traduit pas automatiquement en emplois pour les jeunes : il faudrait créer chaque année des centaines de milliers d’emplois pour absorber les entrants sur le marché du travail. Une étude récente estime qu’à partir de 2024 le pays doit créer environ 200 000 emplois par an pour absorber les nouveaux entrants et réduire la pression sur le marché du travail. Sans cela, le chômage et la précarité restent au rendez-vous.
Le chantier de l’emploi : formation, qualité et adéquation
Beaucoup de jeunes togolais ont la volonté d’entreprendre ou de travailler, mais se heurtent à des problèmes concrets : formations peu adaptées aux besoins du marché, faiblesse des filières techniques et VAE peu développées, et un écart entre les compétences enseignées et celles réellement demandées par les entreprises. Le résultat : une main-d’œuvre qualifiée sur le papier mais souvent inopérante pour les filières porteuses (services numériques, transformation agricole, logistique portuaire). Le déficit d’emplois “de qualité” pousse une partie de la jeunesse vers l’informel, où revenus et protections sociales sont limités.
Entreprendre au Togo : volonté forte, soutien faible
Bonne nouvelle : l’esprit entrepreneur est réel et mesurable. Les données du Global Entrepreneurship Monitor montrent un taux d’activité entrepreneuriale précoce élevé — beaucoup de jeunes tentent l’aventure. Mais la route est semée d’embûches : accès au financement quasi inexistant pour les micro-entrepreneurs, garanties exigées par les banques, manque d’accompagnement technique et administratif, et des écosystèmes d’accélération encore concentrés et limités. Autrement dit, beaucoup de start-ups naissent, mais peu survivent et encore moins évoluent vers des entreprises capables d’employer à grande échelle.
Infrastructures, numérique et transformation : promesses et trous noirs
Le gouvernement et les partenaires internationaux ont lancé des initiatives (déploiement de la fibre, fonds pour la transformation numérique, appuis sectoriels) qui peuvent accélérer l’insertion des jeunes dans l’économie digitale. Le World Bank Group a annoncé des financements pour accélérer la transformation digitale du pays, ce qui est une très bonne nouvelle pour la création d’emplois qualifiés. Reste que l’accès à l’électricité stable, la couverture Internet de qualité, et la formation digitale restent inégaux — surtout hors des grands centres urbains — limitant l’essor d’une économie numérique inclusive.
La fuite des cerveaux et la migration : symptôme d’un malaise
Face au manque d’opportunités, beaucoup de jeunes choisissent la migration — interne (vers Lomé) ou internationale. Les routes migratoires, documentées par l’OIM et d’autres organismes, restent dangereuses et parfois mortelles. La décision de partir est souvent rationnelle : meilleure rémunération perçue à l’étranger, bourses d’étude, et réseaux déjà établis. Mais l’exode de talents prive le Togo d’un capital humain essentiel pour développer des secteurs à forte valeur ajoutée.
Conséquences sociales et risques politiques
Le chômage et la frustration des jeunes ne sont pas que des problèmes économiques : ils alimentent l’instabilité sociale, fragilisent la cohésion et peuvent accroître la vulnérabilité face aux manipulations (réseaux illicites, radicalisation, migration irrégulière). Les États et partenaires doivent comprendre que l’investissement dans la jeunesse est une assurance contre les crises futures.
Pistes concrètes : comment inverser la tendance
1. Créer un écosystème financier inclusif : micro-prêts à taux adaptés, garanties publiques partielles, incubateurs de proximité, et instruments de capital-risque locaux pour permettre aux start-ups d’évoluer.
2. Aligner formation et marché : renforcer l’enseignement technique, apprentissages en alternance, partenariats écoles-entreprises, et cours ciblés sur le numérique et la transformation agricole.
3. Investir dans les infrastructures numériques et énergétiques : plus de fibre, zones franches numériques, plans d’électrification rurale pour permettre aux jeunes hors-Lomé d’accéder aux opportunités. (Le soutien international à la transformation digitale est un levier à exploiter désormais).
4. Programmes d’emploi public-privé : projets d’infrastructures locales qui intègrent des quotas d’embauche pour jeunes formés localement, afin de créer une dynamique d’emploi visible et mesurable.
5. Faciliter la formalisation : procédures administratives simplifiées, réductions fiscales temporaires pour les micro-entreprises qui formalisent et embauchent.
6. Lutter contre l’exode des talents par une offre nationale attractive : bourses, retours d’expatriés soutenus, incitations fiscales pour les entreprises qui rapatrient des compétences.
Conclusion :investir dans la jeunesse, c’est investir dans la paix et la prospérité
Le Togo a des atouts géographiques, des ressources (phosphates, position portuaire) et une jeunesse dynamique prête à se battre. Mais la transition entre potentiel et prospérité exige des choix politiques courageux, des partenariats solides (public-privé-société civile) et des investissements ciblés pour que l’entrepreneuriat ne reste pas un rêve réservé à quelques-uns. La question n’est pas seulement économique : c’est une question de dignité et d’avenir collectif.
Si le pays parvient à créer les environnements où les jeunes peuvent apprendre, entreprendre et s’épanouir, alors la migration deviendra un choix et non une nécessité. Le temps d’agir est maintenant.